Barbora Černušáková - @BCernusakova
2 Juin 2015

Il y a plus d'un an, un groupe de collègues d'Amnesty International et moi-même avons entrepris des recherches de terrain sur la discrimination à l'égard des enfants roms dans les écoles primaires tchèques. Nous voulions avoir une compréhension approfondie de la réalité quotidienne au-delà des statistiques officielles (en Tchèque) qui montrent constamment que plus d'un tiers des élèves dans les écoles et les classes pour les enfants souffrant de troubles mentaux légers sont des Roms. En outre, nous voulions également examiner la situation des Roms dans les écoles ordinaires. Il y avait des données d’enquête disponibles indiquant qu'environ un tiers des Roms fréquentent des écoles classiques qui pratiquent la ségrégation ethnique. Il y avait également des preuves anecdotiques sur diverses formes de traitement différentiel, y compris l'intimidation raciale, des enfants roms qui parviennent à se faire inscrire dans des écoles mixtes.

Notre conception de l’enjeu était clair. La discrimination ethnique dans l'éducation, ce qui comprend la ségrégation, viole la législation tchèque, le droit européen et les normes internationales des droits humains auxquelles le gouvernement tchèque est lié. Elle amène un groupe entier de la population - les Roms - à une éducation séparée et souvent de moindre qualité ce qui a des conséquences profondes sur leurs options futures dans la vie. Et pas seulement les leurs: cela affecte aussi la vie des générations futures de Roms dans le pays. L'expérience des parents éduqués dans des contextes séparés et inférieurs conduisant à un niveau de scolarité inférieur est susceptible d'être répétée par leurs enfants. Nous assistons alors à un écart persistant entre le niveau scolaire des Roms et des non-Roms. Selon les données publiées en 2014 par l'Agence des droits fondamentaux de l'UE, seuls 21% des Roms finissent leurs études secondaires. C'est une différence étonnante par rapport aux 84% des non-Roms. La discrimination à l'égard des Roms dans l'éducation, a également des conséquences pour la société tchèque dans son ensemble. La scolarisation ségréguée et le faible niveau de scolarité n'équipent pas les jeunes des meilleures chances de trouver un emploi rémunéré ou, dans certains cas, un emploi tout court - cela continue de les pousser en marge de la société.

Après avoir clos notre recherche et avoir rendu public le rapport avec des observations confirmant les préoccupations ci-dessus, j’ai été invité par la télévision tchèque pour défendre la position d’Amnesty International. “Sommes-nous si mauvais?” voulait savoir le présentateur. La réponse à sa question peut être trouvée dans la mosaïque d’histoires individuelles des enfants et de leurs parents que nous avons rencontrés au cours de notre recherche. Ensemble, ils ont dépeint un portrait de la frustration, des rêves brisés et de l’humiliation. Un portrait qui aurait dû être effacé il y a des années mais ne l’a pas été parce que le gouvernement n’a pas pris et ne prend toujours pas le problème au sérieux.

Évaluations psychologiques au lieu de soutien linguistique

Nous avons visité à deux reprises la maison d'Andrej. La première fois, on nous a montré des trophées de tournois de football et ses certificats scolaires. Andrej était en formation. Sa grand-mère, avec qui il avait déménagé de la Slovaquie en République tchèque, nous a expliqué qu'il échouait en classe de langue tchèque. Au lieu de lui fournir un soutien linguistique, l'école l'a envoyé faire une évaluation psychologique. Au cours de notre deuxième visite, Andrej nous a parlé des évaluations. "Ils m'ont montré des images que je devais assembler. Il m’a semblé qu'ils pensaient que j'étais idiot. C'était tellement simple. "

Une semaine après l'évaluation, il avait reçu une lettre qui recommandait son transfert à l'école spécialisée. "Je voulais aller là-bas, car tous mes amis y vont aussi [aussi]", se rappelle-t-il. Une chose qu'il ignorait de l'école était qu’elle était conçue pour les élèves handicapés mentaux. Sa grand-mère, son gardien légal, s'est opposée au transfert, mais elle a senti qu'elle avait subi des pressions pour accepter. "Ils m'ont dit qu'il était nécessaire car il continuerait à échouer [dans l'école traditionnelle]".

Lorsque nous avons rencontré le directeur de l'école spécialisée, elle a admis que le but de son école était de préparer les élèves à une formation professionnelle et de s'assurer qu'ils «aient une bonne estime de soi». Cependant, l'estime de soi d'Andrej n'a pas besoin de ce type de traitement. Il est assez sûr de ce qu'il veut et de ce qu’il ne pourra probablement pas réaliser maintenant. «Si j'étais resté à l'école principale, j'aurais aimé aller au lycée, puis à l'université. Mais [à l'école spécialisée], ils m'ont dit qu'il est impossible de se rendre dans une école offrant le maturita [les certifications requises pour l'entrée à l'université]."

Faire de leur vie un enfer

Milena est une assistante pédagogique rom à la retraite et vit dans un quartier rom dans la ville de Brno. Sa petite-fille est scolarisée dans une école traditionnelle fréquentée uniquement par des Roms. Selon l'expérience de Milena, l'attitude envers les Roms de nombreuses écoles à Brno est marquée par des préjugés. «J'ai travaillé 15 ans dans les écoles. Les [non-Roms] ne sont pas entourés de Roms. Si quelqu'un ose placer son enfant là où les enfants [non-roms] vont, la vie de cet enfant sera un véritable enfer... J'ai rencontré des enseignants qui pensaient que les enfants roms étaient des racailles. "

Cela fait vraiment écho à l'histoire de Jana et Karel. Ces frères et sœurs vivaient avec leurs parents dans la ville de České Budějovice, dans le sud de la Bohême, dans un immeuble habité par plusieurs autres familles roms. Leur rue était desservie par l’une des écoles primaires de "l'élite" de la ville. Le seul autre élève rom qui la fréquentait était une fille de 8ème année (4ème). Karel était en 5ème (CM2) et Jana était en 3ème année (ce2). Karel se souvient de l'harcèlement grave vécu quotidiennement par sa sœur il y a quatre ans.

"Ils la poussaient, ils l’appelaient bouche noire, [lui disaient] qu'elle ne savait rien, qu'elle avait l'air dégoûtante ... ils faisaient tout exprès. Ils ont caché ses chaussures ... il neigeait alors j’ai dû la ramener chez moi sur mon dos.”

Jana a développé une aversion totale pour l'école. "Elle avait peur d'y aller." Bien que Karel se soit plaint du harcèlement, l'aide qu'il espérait ne venait pas. Il a expliqué: "Nous l’avons dit à la directrice et elle ne nous écoutait même pas. J'ai donc commencé à m’en occuper moi-même: je me battais avec eux. [Lorsque les enseignants s’en sont rendus compte], j'ai été le seul à me faire gronder parce que je m’étais battu. Et c'est à ce moment-là que nous avons cessé d'aller à l'école, à peu près. "

Lorsque nous avons abordé la directrice de l'école concernant cette affaire, elle a nié toute allégation d'intimidation. Les enfants sont restés à l'école officiellement pendant un an, mais ils ont pratiquement cessé d'aller en classe. Ils ont accumulé trop d'absences non autorisées qui ont entraîné une intervention des services sociaux, une perte de leur garde par leurs parents et le placement à la fois de Jana et de Karel dans un foyer pour enfants.

“Chiots” et “chatons”

Au cours de la recherche, nous avons rencontré des enfants roms qui nous ont dit qu'on leur enseignait certaines classes séparément de leurs pairs non-roms. Josef, un élève en 5ème année (CM2), nous a dit que "[ceux] qui sont plus lents [comme nous] vont dans une classe à part [pour les mathématiques et la langue tchèque]. Seuls les roms les plus brillants restent dans la classe qui est plus rapide. "

Dans une des écoles, nous avons vu des élèves de 3e année séparés en deux groupes appelés «chiots» et «chatons». Tous les chiots étaient des enfants roms et le professeur nous a expliqué qu'ils étaient heureux comme ça. Lorsque nous avons demandé plus tard à certains des «chiots» ce qu'ils souhaiteraient changer dans leur école, ils ont répondu qu'ils aimeraient apprendre avec les «chatons».

Dans une autre ville, nous avons assisté à la façon dont une école, afin d’essayer d'attirer et de faire plaisir aux parents non-Roms, a mis en place un calendrier différent pour les cours préparatoires principalement composés de Roms. Le directeur a expliqué: "Les élèves roms ne devraient pas se mêler aux autres enfants, même s'ils se trouvent dans le même bâtiment et au même étage ... Nous voulons que tous les enfants fréquentent l'école, la communauté rom ne devrait pas prévaloir. Il ne faudrait pas que nous atteignons un stade où les autres familles [non-roms] ne voudraient pas envoyer leurs enfants dans notre école ".

Plusieurs enseignants et directeurs d'école que nous avons rencontrés ont répété un trope selon lequel les Roms ne s'intéressent pas à l'éducation et, par conséquent, si leur nombre dépasse un point critique invisible, la qualité de l'éducation se détériorera. C’est pour cette raison qu’ils ont jugé adéquat et légitime que les Roms puissent et doivent en fait être soit poussés complètement hors de l'enseignement général, soit séparés. La compréhension que ces pratiques sont réellement illégales et inutiles était extrêmement rare.

Le préjudice ethnique contre les Roms est devenu généralisé et socialement acceptable, et cela s’est manifesté dans une réponse étonnante à nos conclusions par le ministre du gouvernement chargé des politiques éducatives en République tchèque. Le ministre de l'Éducation a déclaré que les Roms doivent se rendre compte qu’ «il n'est pas normal de s’étendre au lit toute la matinée et il faut travailler au lieu de ça». Des déclarations comme celle-ci permettent difficilement d’avoir confiance en la volonté du gouvernement à aborder la question de la discrimination à l'égard des Roms dans le domaine de l'éducation. C'est un mauvais signe pour l'ensemble du pays. À partir de septembre 2014, la République tchèque est confrontée à des procédures d'infraction sans précédent pour la violation de la directive européenne sur l'égalité raciale suite à la discrimination scolaire des Roms - un signe indiquant le sérieux avec lequel le problème est perçu non seulement par nous mais aussi par la Commission européenne. À moins que le gouvernement ne mette en place un ensemble de mesures efficaces et spécifiques sur la façon d'aborder cette violation dans la pratique scolaire quotidienne, la République tchèque peut être renvoyée devant la Cour de justice de l'UE et potentiellement recevoir une grave sanction financière. C'est une situation que tout gouvernement souhaiterait éviter, mais cela ne devrait pas avoir atteint ce stade - la question est maintenant la suivante: est-ce que les autorités tchèques ont la volonté politique de s'attaquer à cette situation une fois pour toutes et d'arrêter de faire défaut à des milliers d'enfants?

Lisez le rapport le plus récent de Barbora Must Try Harder- Ethnic Discrimination of Romani Children in Czech Schools (Nous devons nous efforcer davantage - discrimination ethnique des enfants roms dans les écoles tchèques)

Lisez davantage sur le droit à l’éducation des minorités et des peuples autochtones, ici.

Barbora Černušáková est une chercheuse en droits humains et experte d'Amnesty International sur les pays d'Europe centrale et orientale (Hongrie, République tchèque, Slovaquie, Pologne, Roumanie et Bulgarie). Dans son travail, elle couvre une gamme de questions relatives aux droits humains avec un accent particulier sur la discrimination à l'égard des Roms, les crimes haineux et les droits des réfugiés et des migrants. Dans le cadre de son travail pour Amnesty International, Mme Černušáková a présenté des observations aux organes de contrôle des droits humains au sein du système des Nations Unies, ainsi qu'aux institutions du Conseil de l'Europe et au Parlement européen. Elle a également rédigé un certain nombre de rapports documentant les violations des droits humains et rédigé des mémoires d'amicus pour les tribunaux nationaux. Ses rapports sur le droit à l'éducation comprennent "Must Try Harder"(Nous devons nous efforcer davantage), un rapport de 2015 sur la discrimination ethnique des Roms dans les écoles tchèques; “Unfulfilled Promises” («Promesses non accomplies»), un exposé de 2013 sur l'échec des autorités slovaques à mettre fin à la ségrégation des Roms dans les écoles; Ou “Five More Years of Injustice” ( "cinq années supplémentaires d'injustice”), un rapport rédigé en collaboration avec un autre auteur publié en 2012 et qui concerne le manque de progrès dans la mise en œuvre de l'arrêt de la Cour européenne dans l'affaire D.H. contre la République tchèque. Mme Černušáková détient une maîtrise en sciences politiques de l'Université Comenius à Bratislava, une maîtrise en droits humains de la London School of Economics et une maîtrise en informatique de la Birkbeck School of Law de l’Université de Londres. Elle est actuellement inscrite dans un programme de doctorat en sociologie à l'Université de Manchester.

 

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